Vous aimez l’humour noir ?
Alors vous aimerez ça :
Une publicité VW entrée depuis dans l’histoire. De l’humour noir publicitaire à son meilleur niveau porté par un texte fin, compréhensible et drôle.
Peut-être parce qu’il est anglais, notez, et que la culture anglo-saxonne manie à merveille l’humour noir. La culture, tiens : un point capital qui nous intéressera après.
Quand même, on parle de mort dans ce spot ! Un thème pas trop récurrent dans la communication commerciale car évidemment délicat à traiter… (d’ailleurs, saviez-vous que les croque-morts suisses sont limités dans leur quantité de communication ?).
Mais qu’il s’agisse de la mort ou d’autres thèmes qui relèvent de l’humour noir : peut-être trop délicats à traiter.
Alors on n’ose pas. « Trop risqué », il paraîtrait. Essayons de mieux comprendre le pourquoi du comment…
L’humour noir vous tend ses mains moites
Le sujet de cet article a d’abord été motivé par toutes les réactions que nous avons eues au fil des années, face à nos propositions d’axes créatifs disons les plus… ténébreux.
Ces réactions s’expriment généralement de la sorte :
– c’est trop sombre
– on ne veut pas faire peur à nos prospects ou clients
– c’est trop sombre
– mais notre image, à nous, elle est positive !
– c’est trop sombre.
Des remarques qu’on comprend, bien sûr. Mais pas toujours justifiée, voire parfois dommageables car autant d’occasions manquées de marquer pour de bon son public (sans pour autant le traumatiser).
L’humour noir est ainsi une voie peu exploitée en publicité, notamment dans l’espace francophone. Qui dit rare dit pourtant remarquable : n’est-ce pas ce que toute communication commerciale doit s’efforcer d’atteindre au minimum ?
On a assez entendu que le public est bombardé quotidiennement de messages commerciaux : l’humour – noir en particulier – ne serait-il pas un moyen de sortir du lot ?
C’est exactement là-dessus que la chaîne d’opticiens Visual a misé au tout début des années 2000 en France. Face à Krys, Atoll ou Afflelou, Visual devait marquer les esprits pour faire sa place… Elle y est allègrement parvenue :
La marque se voit contrainte de donner des excuses, les réclamations n’en finissent plus… Mais sa notoriété et son chiffre d’affaires explosent.
Visual ira encore plus loin par la suite avec le même succès, puis, notoriété établie, en reviendra à des choses plus consensuelles mais tout à fait réussies :
Mais entre humour bien senti et vulgarité noire et gratuite, la limite est fine. Trèèèès fine. On va donc tâcher ici de donner des pistes afin de voir QUAND, COMMENT et POURQUOI l’usage de l’humour noir peut faire des miracles pour déchainer sa communication.
L’humour noir, c’est quoi ?
On peut définir simplement l’humour noir comme un type d’humour qui veut provoquer le public en dépassant les limites de certaines conventions sociales et en jouant avec l’interdit, les tabous, la satire et la mort.
On se demande du coup ce que peuvent bien faire ces thèmes dans un contexte commercial. Parce qu’une publicité doit absolument laisser son récepteur sur un sentiment positif… ou du moins pas négatif, quoi.
Mais qui a dit qu’humour noir était égal à sentiment négatif ?
Le vrai problème que peut poser l’humour noir
Le principal problème de l’humour noir – qui justifie d’ailleurs la crainte à en faire usage – est quand celui-ci devient gratuit et manque son effet : quand il veut choquer pour choquer et que son « jeu avec les limites » ne trouve aucune justification.
Si un gag n’est déjà pas drôle en situation normale, on imagine le désastre en situation commerciale : car le message ne tombe alors pas simplement à l’eau – il marque négativement les esprits.
Ce spot pour Ford est un exemple connu de publicité bannie. Si elle peut faire sourire, la violence sur l’animal semble toutefois gratuite : comme sortie de nulle part car ne faisant référence à aucune situation plus ou moins connue ou habituelle.
Mais le pire, et certainement ce qui lui a valu son interdiction, c’est que la réalisation de ce spot est trop… eh bien, réaliste justement.
L’humour noir doit proposer une échappatoire pour rester plus drôle que choquant. Un élément qui fait comprendre que l’on est dans le domaine de la fiction.
Le problème du spot Ford est qu’il est d’un tel réalisme qu’on pourrait très bien croire à une vidéo d’accident tragique en le voyant.
L’humour noir joue avec les limites : tout en les dépassant, il doit montrer qu’il comprend où elles se situent. C’est là que ça devient drôle et pas seulement morbide.
Cet autre film a également fait parler de lui :
Très apprécié par une partie du public, ce spot a cependant été trop loin pour beaucoup de personnes.
Une critique en particulier nous a semblé très pertinente : trop réaliste, trop triste, cette publicité nous laisse face à notre condition humaine où même la mort n’est parfois pas accessible – sinistre perspective, à mille lieues de l’envie d’acheter une voiture.
Car le jeu n’y est précisément pas clair. Si la chute du spot possède un certain aspect comique, sa mise en scène est tellement réaliste et sinistre qu’on pourrait croire à une vraie scène de suicide. D’où le malaise pour une partie du public, et le sentiment négatif final dont on a parlé plus haut.
Oh d’ailleurs, la version Audi, à peine repompée (ok pour parler de diesel dans ce cas) :
Un brin plus comique, mais pas beaucoup mieux reçue que la version Hyundai. LA différence tient en revanche du produit, Audi « de luxe » bien différente d’une « simple » Hyundai, ce qui nous intéressera ensuite.
Et quand l’humour noir fonctionne ?
Cette affiche Bose dépeint une situation suffisamment irréaliste pour qu’on ne fasse pas grand cas du destin tragique de son personnage, et qu’on se focalise plutôt sur le comique absurde de la situation.
Un sujet très sérieux, renforcé par les couleurs sombres, mais dédramatisé par l’aspect science-fiction.
Dans la même série science-fiction…
C’est ici le surréalisme de la situation qui provoque le rire.
Situation connue mais exagérée dans le cadre de l’église.
Terminons avec un exemple bien de chez nous :
Ce spot pour la Police lausannoise a marqué toute la francophonie à sa sortie. Quand on parle du pouvoir de l’humour noir…
Ce spot a bien entendu récolté son lot de critiques, inévitables quand on repousse un peu les limites d’un contexte très codé… Bien moins nombreuses, cependant, que ses compliments. Car ce film marche : son humour noir pourtant très corrosif fonctionne. Pourquoi ?
D’abord car il n’est pas gratuit. Je peux réellement me faire jeter 10m plus loin par une voiture si je traverse une route sans y prêter attention.
Mais surtout, c’est le concept des « Pompes Funèbres Anastase » qui donne tout son relief à ce spot. Il lui apporte tout son humour en le faisant d’ailleurs de manière assez appuyée, afin de dédramatiser au mieux la violence des images « réelles ».
Ce concept accomplit exactement ce dont on a parlé plus haut : par son évidente absurdité il propose une échappatoire qui nous permet de considérer les images que l’on voit comme de la fiction, et ainsi d’instaurer la distance utile au bon fonctionnement de l’humour noir.
Imaginez ces mêmes images d’accident de la route avec un concept moins évident : vous obtenez immédiatement une avalanche de réactions outrées accompagnées d’un bad buzz mémorable.
Enfin, et pour mieux le remettre en contexte, notons d’une part que le message du spot a une mission « noble » de santé publique : on lui pardonnera donc plus facilement ses travers qu’à un message purement commercial ; d’autre part qu’il était destiné au web, où les attentes du public permettent plus facilement la provocation que sur les supports traditionnels.
L’audace de cette campagne de la Police lausannoise a été largement saluée : on fait difficilement mieux pour améliorer une image, notamment auprès du jeune public à qui ce spot était adressé en particulier.
Preuve flagrante des bienfaits de l’humour noir…
L’importance de la culture
Dans nos « critères de justesse de l’humour noir », il y en a bien sûr un qu’on est obligé de prendre en compte : la culture du public cible. Car l’humour – noir y compris – dépend avant tout du contexte culturel dans lequel il prend place.
Dans le cas du spot Anastase justement, on a trouvé ci et là à sa sortie des commentaires qui mentionnaient l’humour très second degré des Suisses romands et la capacité à rire de soi-même. Pour preuve nos comiques locaux les plus populaires qui en effet adoptent dans leurs sketches un ton très souvent cynique. Vrai ou faux ? On ne veut rien affirmer ici, mais ça expliquerait toutefois la bonne réception du spot Anastase.
A l’instar du fameux humour anglais très pince-sans-rire, qui sait ne pas se prendre au sérieux sur quel sujet que ce soit, et qui permet ainsi un spot tel celui qu’on a montré en tout début d’article.
Ainsi, n’importe quel message commercial qui veut jouer avec l’humour noir doit prendre comme contrainte principale la culture locale de ses récepteurs. Et c’est précisément une des raisons qui rend indispensable la collaboration avec une agence locale : dans tous les cas de figures certes, mais d’autant plus dans celui-ci.
Alors comment utiliser l’humour noir dans la publicité ?
La règle principale à retenir quand on veut utiliser l’humour noir dans la publicité est de générer un effet d’atténuation sur le sujet sérieux ou provoquant qu’on traite, et utiliser à bon escient le phénomène de masquage en générant une perception positive d’un stimulus qui serait habituellement perçu comme négatif.
C’est simplement primordial, au point que c’est cet effet d’atténuation qui joue le rôle le plus important dans le succès ou non de l’humour noir :
Dans ce spot Bridgestone, le chien comme héros diminue évidemment le réalisme de la tentative de suicide qui est montrée.
Dans les publicités Hyundai et Audi, c’est le « happy ending » qui génère cette atténuation. Mais justement pas suffisamment selon les critiques.
Et maintenant…
Allez-y ! Ne craignez plus l’humour noir qui, non, ne provoquera pas forcément l’armagaddon dans la perception qu’ont de vous vos prospects et clients… Sous réserve des quelques pistes qu’on a abordées dans cet article ! ;)